20 ans après l’adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, quelles sont, selon vous, les principales avancées enregistrées ?
La loi du 11 février 2005 a suscité des attentes importantes chez nos concitoyens en situation de handicap et les associations qui les représentent. Lorsque l’on se retourne sur les 20 ans écoulés depuis la promulgation de la loi on est saisi par le contraste entre des avancées évidentes, notamment en matière de dé-stigmatisation et d’acceptation du handicap dans la société, et le constat d’insuffisances qui demeurent criantes en matière d’accessibilité de la société aux personnes handicapées.
Il faut d’abord constater que le nombre de personnes reconnues en situation de handicap ne cesse d’augmenter. Il a doublé en 20 ans pour s’établir aujourd’hui à 159 000 dans le Pas-de-Calais, c'est-à-dire que plus d’une personne sur 10 est concernée par une situation de handicap. Cette tendance n’est pas propre à notre département. Elle ne signifie pas que l’état de santé de la population se soit dégradé sur la période mais bien qu’un nombre croissant de personnes a sollicité la reconnaissance d’une situation de handicap. C’est le résultat de la conjonction de plusieurs phénomènes :
- D’abord, une meilleure identification des sources et origines des situations de handicap à travers une amélioration du dépistage : c’est notamment le cas de l’autisme, concept longtemps mal défini et insuffisamment détecté et qui aujourd’hui fait l’objet d’approches beaucoup plus systématiques.
- Ensuite, l’entrée dans le champ du handicap de situations individuelles qui, auparavant en auraient été exclues, considérant qu’elles relevaient de problématiques d’une autre nature. On pense ici au handicap psychique, longtemps cantonné à une approche exclusivement médicale ou aux troubles « dys », assimilés auparavant aux difficultés d’apprentissage. C’est la conséquence directe de la définition du handicap donnée par la loi de 2005 : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » Cette définition est à la fois précise et large en ce qu’elle admet des situations qui, auparavant, n’étaient pas reconnues comme relevant d’un « handicap ».
- Enfin, et c’est là une des avancées majeures de la loi : engager la démarche de reconnaissance d’une situation de handicap est de moins en moins vécu avec crainte et réticence par rapport aux conséquences stigmatisantes qu’elle engendre. Si ces craintes continuent d’exister, elles pèsent de moins en moins lourd face aux bénéfices qui pourront être obtenus de cette reconnaissance. C’est particulièrement vrai à l’école où les familles hésitent moins à solliciter l’aide (humaine, matérielle) qui pourra accompagner et faciliter la scolarisation de leur enfant.
La loi de 2005 a organisé l’action publique autour de deux axes : l’obligation d’accessibilité et le droit à compensation. Force est de constater que ces deux axes ne progressent pas à la même vitesse. Des efforts sont conduits pour améliorer l’accessibilité aux personnes en situation de handicap des principales dimensions de la vie en société : la mobilité, le logement, l’école, le travail…. En la matière, malgré des avancées notables, on ne peut que constater les insuffisances vis-à-vis de cet idéal d’« accessibilité universelle ». Parallèlement, les demandes individuelles de droits à compensation des conséquences du handicap connaissent une croissance forte et régulière qui, par ailleurs, saturent les capacités de traitement des MDPH. Ces mesures de compensation (principalement à travers des aides techniques ou humaines) sont indispensables. Cependant, elles viennent parfois pallier l’insuffisante accessibilité des services de droit commun.
La loi de 2005 c’est effectivement aussi la création des MDPH ?
Oui, la loi de 2005 crée dans chaque Département une Maison Départementale des Personnes Handicapées. La MDPH est un « guichet unique » dont les missions sont larges : accueillir, informer et orienter les personnes et leur famille, évaluer les besoins de compensation liés à leur situation de handicap, accorder les droits afférents (La CDAPH remplace les anciennes CDES et COTOREP) et accompagner les personnes et leur entourage dans la mise en œuvre effective de ces droits.
Dans le Pas-de-Calais comme ailleurs, la MDPH a été très tôt victime de son succès : le nombre de personnes qui chaque année s’adresse à elle pour faire reconnaitre une situation de handicap ou renouveler leurs droits a triplé en 20 ans. Et dans les faits, les MDPH sont d’abord perçues par leurs usagers comme un passage obligé pour l’accès aux droits : elles sont souvent synonymes de complexité, lourdeur des procédures et délais de traitement toujours trop longs. Ce portrait est en grande partie exact mais ne doit pas occulter les efforts permanents réalisés pour en limiter les aspects négatifs : les dossiers de demande ont fait l’objet d’une simplification en 2019 et devraient être encore simplifiés prochainement, de plus en plus de droits sont ouverts sans limitation de durée et les délais de traitement restent, en moyenne dans le Pas-de-Calais, inférieurs à 4 mois. Il faut bien avoir à l’esprit que les MDPH sont en permanence soumises à une tension forte entre deux exigences contradictoires : assurer un traitement de masse (chaque année la MDPH du Pas-de-Calais traite environ 60 000 dossiers) tout en offrant à chaque demandeur une réponse personnalisée, complète et appropriée, fondée sur une évaluation globale de ses besoins, et ce, dans des délais raisonnables.
En outre, certains bénéficiaires de la MDPH sont frustrés par le fait qu’ils éprouvent des difficultés dans la mise en œuvre effective de leurs droits lorsque ces derniers concernent une orientation vers un établissement ou un service médico-social. Effectivement, l’orientation prononcée par la MDPH peut parfois se heurter à une insuffisance ou une inadaptation des réponses disponibles sur le territoire. Dans ce cas, la MDPH apporte son aide à la mise en œuvre effective des droits : ce sont, en permanence, environ 200 situations individuelles qui sont ainsi accompagnées à ce titre par nos travailleurs sociaux ou ceux du Département.
Mais, globalement, il est vrai que les MDPH sont structurellement saturées par le flux de dossiers qu’elles sont amenées à traiter au détriment de ce qui devrait être au cœur de leur mission : l’accompagnement des personnes et des familles dans la construction et le déroulé de leur parcours de vie. Aujourd’hui, la MDPH reste trop limitée à sa fonction de « guichet » et le « service public accompagnant » qu’elle a vocation à incarner est encore à construire.
Vous parlez de « service public accompagnant ». Comment sont pris en compte les parcours et les projets de vie des personnes en situation de handicap ?
Il s’agit, là aussi, d’une dimension essentielle de la loi de 2005. A travers la place qu’elle donne au « projet de vie », la loi modifie le rapport de force existant entre les aspirations individuelles de la personne (qui peuvent le plus souvent se résumer à : « malgré mon handicap, vivre comme les autres et au milieu des autres ») et les solutions disponibles qui lui sont proposées. Là, il faut faire un peu d’histoire. La précédente grande loi relative au handicap, la loi de 1975, a permis le développement d’un important secteur médico-social qui a offert des solutions d’accompagnement et de vie à un grand nombre de personnes handicapées qui en étaient dépourvues jusque-là, le plus souvent sous la forme d’un accueil en établissement : les IME, les ESAT, les foyers, médicalisés ou non.
La loi de 2005 promeut un « virage inclusif » qui vise à donner la primauté au respect du « projet de vie » et à la « vie en milieu ordinaire » : cela nécessite une mobilisation différente des moyens disponibles. Ainsi, le secteur médico-social est invité à modifier ses modes d’organisation et d’intervention de manière à offrir des accompagnements encore plus adaptés aux besoins et aux aspirations singulières des personnes. Ce mouvement est aujourd’hui engagé à l’école (avec une plus grande coopération et porosité entre le secteur spécialisé et l’école ordinaire), au travail et dans la vie quotidienne (avec le développement de solutions diversifiées d’accompagnement à domicile).
Le fait qu’en même temps d'être présidente de la MDPH je sois aussi vice-présidente en charge du handicap au sein du Conseil Départemental me permet de mettre l’accent sur le rôle et les initiatives du Département en ce domaine. Le Département finance la Prestation de Compensation du Handicap (plus de 60M€ par an) qui permet à ses 10 000 bénéficiaires d’être accompagnés à domicile ou de bénéficier d’aides techniques ou d’aménagement (du logement ou du véhicule). En outre, elle accompagne, sur un mode volontariste, de nombreux projets d’« habitat inclusif » qui permettent à des personnes en situation de handicap de disposer d’un logement ordinaire dans un cadre de vie adapté offrant sécurité, solidarité et accompagnement. Elle met également en œuvre une démarche active de soutien aux aidants qui sont des soutiens essentiels de la vie quotidienne de la plupart des personnes handicapées.
Au-delà des progrès importants que vous relevez, quels sont, selon vous, les domaines dans lesquels des améliorations sont souhaitables ? Nécessitent-elles une nouvelle loi, 20 ans après ?
Comme je l’ai indiqué précédemment, les mesures de compensation individuelles prononcées par la MDPH viennent, dans un certain nombre de cas, pallier l’accessibilité insuffisante des services rendus par les acteurs publics ou privés. Cela traduit le fait que, trop souvent, le handicap est encore considéré comme étant « l’affaire des autres », en l’occurrence de la MDPH et du secteur médico-social. Pourtant, le handicap est bien l’affaire de tous : chacun a la possibilité d’adapter sa posture et ses manières de faire pour faciliter l’accès au service qu’il rend. Ce sont ces « pas de côté » qui participent à la construction d’une société inclusive. C’est dans cet esprit que nous avons engagé en 2023, au sein des services du Département du Pas-de-Calais, un Engagement Handicap : il s’agit que chaque service intègre la prise en compte du handicap dans la construction et la mise en œuvre des politiques publiques départementales.
Aussi, je ne pense pas que nous ayons besoin d’une nouvelle loi pour faire avancer la cause des personnes en situation de handicap. La loi de 2005 fournit un cadre ambitieux, complet et robuste, qu’il s’agit de faire vivre. Bien sûr, malgré les efforts financiers considérables réalisés par les acteurs publics depuis 20 ans, la question des moyens continue de se poser et de conditionner certaines avancées nécessaires. Mais au final, c’est d’abord d’une ambition et d’une conviction partagées dont nous avons besoin aujourd’hui. C’est ce que la MDPH, dans l’exercice quotidien de ses missions et avec ses partenaires, contribue à maintenir et à faire vivre.